"Lost memory of skin / Lointain souvenir de la peau", de Russel Banks

Publié le par Emmanuelle Caminade

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Lost memory of skin (Lointain souvenir de la peau dans sa traduction française parue chez Actes Sud) est un roman puissant tissé de multiples résonances et riche de plusieurs niveaux de lecture que Russel Banks mène avec beaucoup de maîtrise, même s'il s'avère parfois un peu trop démonstratif.

Le titre américain, plus encore que le titre français, annonce déjà par ses connotations la complexité du sujet traité. Le mot "skin" renvoie en effet aux magazines pornos américains ("skin magazines") liant ainsi la délinquance sexuelle abordée dans ce récit à l'image du sexe véhiculée dans les médias américains, une image démultipliée par les films pornos que l'on peut très facilement visionner à la télévision ou sur internet. Le terme "peau" figurant par ailleurs ce contact physique inhérent aux rapports humains qui se voit progressivement supplanté par une relation virtuelle ôtant toute réalité à autrui. Une peau symbolisant aussi l'apparence, le paraître et non l'être, ce que l'on donne à voir de soi qui masque ce que l'on est à l'intérieur. Sans compter que l'expression "mémoire perdue de la peau"' (dans sa traduction littérale) dérive facilement vers une "mémoire de la peau perdue", évoquant ces mues successives oubliées et pourtant constitutives de chaque être humain. Une mémoire qu'il convient sans doute de retrouver pour opérer une métamorphose positive, cette dernière intéressant visiblement l'auteur comme l'indique l'épigraphe (1) du livre.

Et le héros de ce roman, le "Kid" (l'enfant, le gamin) comme il préfère se nommer pour se préserver d'un nom honteux livré en pâture au public, jeune délinquant sexuel victime d'une sévère addiction aux vidéos pornos sur internet, devra bien établir une relation réelle à l'autre et retracer les étapes successives de son cheminement en remontant à sa prime enfance  pour comprendre et accepter son identité (2), pour exister et devenir enfin un homme adulte responsable capable d'affronter courageusement la vie.

1) «Now I am ready to tell how bodies changed into different bodies.» METAMORPHOSES

2) La constitution d'une identité étant toujours liée à l'altérité et à la mémoire

 

Lost memory of skin démarre comme un roman réaliste bien documenté montrant le sort effectif des délinquants sexuels en Floride dans cette riche ville de Miami bien reconnaissable sous son nom fictif de Calusa.

Une fois purgée leur peine de prison, et quelle que soit la gravité de leurs actes, ces délinquants que refuse de voir une Amérique répressive qui ne fait pas dans la nuance sont longtemps astreints au port d'un bracelet électronique et interdits de séjourner à proximité d'enfants (3), ce qui équivaut à en faire des sans-abris n'ayant comme seul lieu possible pour établir leur campement que "Causeway", un terrain inondable situé sous le viaduc de l'autoroute à quatre voies reliant le quartier résidentiel de la ville aux îles et aux plages. A condition toutefois de ne pas y être visibles d'en haut et donc forcément de ne pas y être trop nombreux. Sinon, il ne leur reste que la zone excentrée de l'aéroport, repère dangereux des drogués, ou la zone marécageuse et en partie sauvage de l'estuaire du fleuve, mais cette dernière n'est envisageable que si l'on dispose de l'argent nécessaire pour y louer un bateau. Ces délinquants sexuels sont donc chassés de la cité comme des lépreux (atteints d'une maladie contagieuse de la peau), exclus de la société des hommes qui les relègue à l'extérieur pour mieux les contrôler, empêchant leur réinsertion. D'autant plus que trouver un travail s'avère pour eux très difficile car ils restent fichés sur internet où leur fiche est consultable par tous.

3) http://www.lexpress.fr/actualite/societe/les-parias-de-miami-beach_824654.html

 

 

A travers le Kid, Russel Banks dénonce le rapport trouble de l'Amérique au sexe, l'hypocrisie d'un pays qui abandonne ses enfants après en avoir fait des objets de désir et les avoir exposés aux images pornographiques, fermant paradoxalement les yeux sur l'industrie florissante des films X. Une Amérique puritaine qui bannit une fraction grandissante de sa population au nom de la préservation d'un ordre social, sous couvert de morale et en toute bonne conscience.

Et il a l'habileté de prendre pour héros un jeune garçon démuni et solitaire de 22 ans, un enfant immature dont l'innocence touche, ce qui incite le lecteur à considérer ce délinquant sexuel, certes peu dangereux, avec empathie et à humaniser son regard sur les autres.

Le fait que la délinquance du Kid soit essentiellement d'ordre virtuel lui permet par ailleurs de déboucher habilement sur le thème central du livre. Le Kid joue en effet le rôle du "canary in the mine shaft"(4) venant alerter, sensibiliser à un danger de plus grande ampleur dont on n'a pas encore forcément totalement pris conscience, et qui risque d'affecter toutes nos sociétés entrées dans l'ère du numérique. La confusion du réel et du virtuel, de la réalité et des fantasmes, entraîne en effet une "objétisation" de l'autre et une déresponsabilisation inquiétante. On s'engage ainsi sur le chemin de la perte de l'humain, de la confusion des valeurs et même parfois de leur inversion...

4) "Canari dans un puits de mine" : les mineurs emportaient autrefois un canari en cage qui, lorsqu'il donnait des signes de suffocation, indiquait qu'il fallait remonter...

 

Lost memory of skin dépasse ainsi de beaucoup le roman réaliste engagé dénonçant l'injustice et l'hypocrisie de l'Amérique actuelle en éclairant les problèmes naissants d'une époque nouvelle, et soulève non seulement des questions politiques mais aussi des questions philosophiques et morales. C'est un long roman d'apprentissage aux nombreux rebondissements, doublé en permanence d'une interrogation universelle sur le mystère de la nature humaine et les frontières délimitant le bien du mal.
Le livre fait écho à de nombreux textes littéraires à commencer par ceux des Ecritures. La Bible y est en effet amplement citée, l'épisode du bannissement des lépreux et, surtout, ce passage de la Genèse repris tout au long du récit de manière insistante et pouvant être interprété de diverses manières : un texte fondateur de l'aventure humaine qu'il n'est pas étonnant de retrouver à l'origine d'un roman d'apprentissage (comme dans Candide, le conte philosophique de Voltaire).

Avec beaucoup d'à propos, Russel Banks renvoie aussi à la nouvelle de Conrad Au coeur des ténèbres  lorsque se lève ce fameux brouillard blanc cachant la noirceur, le mystère du Professeur n'ayant rien à envier à celui de Mr Kurtz. Un renvoi malicieux qui évoque également pour les  Américains le second épisode de la série télévisée Miami vice intitulé Heart of darkness  où il est question de films X et de prostitution enfantine (5) ...

Et Lost memory of skin s'inscrit ostensiblement dans le sillage des romans de Mark Twain – qui avait lu Voltaire - et de ceux de Robert Stevenson. On y trouve  des ressemblances ponctuelles avec Huckleberry Fin  (6) dont l'auteur reprend les thèmes majeurs, tandis que  le dédoublement soudain de la personnalité du Professeur nous évoque Dr Jekyl et Mr Hyde de Stevenson. Quant au roman L'île au trésor, qui n'est pas seulement destiné aux enfants, il semble constituer la véritable matrice du livre, Russel Banks multipliant tant les clins d'oeil (7) qu'on peut y voir un hommage de sa part. Sans compter qu'il propose comme Stevenson une sorte de roman d'aventures aux différents degrés de lecture, un roman d'apprentissage complexe combinant les exigences de la fiction et celles du réel qui recourt à de nombreux ressorts narratifs mis en oeuvre par son prédécesseur.

5) http://miamivice.wikia.com/wiki/Heart_of_Darkness

6) De nombreux éléments renvoient au roman de Mark Twain auquel l'auteur se réfère nominativement :  la vie sur le bateau dans les marécages, le regard candide du jeune héros se frottant à la vraie vie et débusquant l'hypocrisie, l'importance de la figure paternelle, le bien et le mal...

7) La figure tutellaire du Professeur dont l'ambiguïté est la même que celle de Long John Silver, les rapports complexes entre ces derniers et le Kid ou Jim Hawkins, le perroquet dans la cage à l'auberge Benbow où l'homme qui accompagne ce dernier est décrit "with long, lank silver-gray hair", et bien sûr la carte du trésor ...

 

Russel Banks déploie une structure narrative magistrale.

Il opte pour une narration principale au présent, plus proche, et un narrateur extérieur mais racontant le plus souvent de l'intérieur en passant par le regard de ses personnages, ce qui lui permet de préserver le mystère en ne délivrant que la vision partielle et subjective de son héros mais aussi de varier parfois les versions en déplaçant l'angle de vue.

La progression de l'action s'étale sur plusieurs grandes parties ordonnées de manière chronologique mais, à l'intérieur de chacune d'entre elles, l'auteur remonte dans le passé de son héros en suivant le cours digressif de ses pensées. Il s'emploie à ne pas tout dire d'un coup, préférant retarder au maximum notre connaissance du délit précis commis par le Kid, et il  possède l'art de maintenir le suspense en introduisant de nombreux rebondissements ou retournements, aimant ménager des contrastes (8), tout en annonçant, en anticipant discrètement certains épisodes et en tissant de nombreux échos qui enserrent le lecteur dans sa toile. Et Russel Banks semble prendre plaisir à balader ainsi le lecteur au gré des aventures de son héros en lui envoyant malicieusement de multiples signes de connivence. Un plaisir amplement partagé.

On ne s'ennuie guère dans ce long roman d'un peu plus de 400 pages que l'auteur mène avec un grand sens du rythme, sachant varier les décors et alterner descriptions précises et très évocatrices, récit et dialogues (9). La langue, très fluide et peu ponctuée dans les descriptions et le récit, est beaucoup plus hachée dans les dialogues, très vivants, qui épousent le langage des personnages et notamment cet américain aux tournures populaires et au vocabulaire familier et volontiers argotique que n'aurait pas renié Mark Twain, l'auteur précisant même souvent les accents qui ajoutent des couleurs locales. Un style efficace et empli d'une empathie s'accompagnant d'une légère dérision, d'une certaine distance comique, évitant ainsi habilement le pathos et le misérabilisme. Mais, même si le propos de l'auteur n'est pas à proprement parler moralisateur car il n'apporte pas la bonne solution et ne se montre jamais manichéen, Russel Banks souligne le mystère de la nature humaine et le mal-fondé de l'homme à juger ses semblables de manière si appuyée et redondante qu'on regrette qu'il se montre si inutilement démonstratif.

8) Dans les premiers chapitres de la partie I, par exemple, il aborde les dures conditions de vie des délinquants sexuels de "Causeway" et le passé sordide du héros par petites touches feutrées renforçant ainsi habilement la violence inattendue du raid policier qui va suivre

9) Il insère même des chapitres entiers de dialogues mais en forme d'interviews (qui offrent, entre autres, un moyen astucieux pour remonter  dans le passé des héros) ou de "chats" sur internet

 

Lost memory of skin est un peu construit sur le modèle de son héros qui, enfant, aimait tant ranger pour que tout soit net autour de lui quand sa mère l'abandonnait seul à la maison. Un héros qui par la suite, sur les conseils de son mentor, organisera le campement sous le viaduc pour le rendre propre et rassurant, pour avoir prise sur lui. La maîtrise de l'extérieur, de l'apparence, cache ainsi les profonds désordres intérieurs et la construction solide du livre en cinq grandes parties bien délimitées comportant chacune en moyenne une dizaine de chapitres, comme le jeu sur la typographie, les majuscules rehaussant la visibilité du début des chapitres et les caractères italiques soulignant celle des dialogues, recouvrent-ils de même un foisonnement intense et mystérieux plus difficile à appréhender.    

Après la lecture du roman, les fondations du parcours initiatique du Kid apparaissent néanmoins  clairement. La maturation progressive de ce jeune héros privé de père et d'éducation nécessite la conscience de soi et l'éveil à l'autre et sa transformation en un homme lucide et responsable capable d'affronter le monde réel va ainsi passer par trois lieux symbolisant l'illusion et le réel (10), et sera le fruit de trois rencontres successives avec des substitut paternels (11).

10) Deux paradis illusoires ( internet et les marécages de l'estuaire) et le monde réel dans toute sa violence et sa précarité symbolisé par "Causeway"

11) Dans ce roman d'éducation, l'auteur semble  se ranger au point de vue courant  de la mère du héros, attribuant à l'homme, au père, le rôle éducatif. Les rares femmes sont en effet confinées à l'affectif : carence affective chez la mère (rejetant sa carence éducative sur la rotation accélérée de ses partenaires qui n'ont pu se charger de l'éducation de son fils), compassion de Gloria ou de la femme de Cat ... On aurait aimé voir l'auteur se démarquer des romans d'un autre siècle auxquels il rend hommage et détourner un peu ces schémas traditionnels !

 

Fresque de Michel-Ange

Sorte de Candide chassé du paradis, de l'innocence dans laquelle il vivait en visionnant des films pornos sur internet dans son monde irréel, ignorant du bien et du mal, il va, après avoir cueilli le fruit de l'arbre de la connaissance, être brutalement projeté dans le vaste monde...

Sa rencontre avec le père de la jeune mineure Brandi 18, prélude à son arrestation, interrogatoire filmé qui lui renverra son image en miroir, lui montrera que derrière chaque image se cache une personne véritable. Pour la première fois, il ressentira de la honte et aura conscience d'exister, mettant un premier pied dans le monde réel.

Sous la "Causeway" où il cohabite avec toute une faune reléguée au ban de la société et dont il sera chassé par un raid policier puis par un ouragan, il éprouvera pour la première fois la culpabilité - celle de l'abandon de son fidèle iguane Iggy (12) - puis la tristesse d'avoir vu mourir, impuissant,  un de ses compagnons d'infortune.

C'est là que viendra le chercher un professeur de sociologie obèse  tout aussi "bizarre" que lui qui enquête sur les délinquants sexuels et veut l'interviewer. Une étrange figure tutélaire ambiguë et non dépourvue d'humour qui tout en le manipulant lui manifestera intérêt et respect et deviendra son mentor. Un mentor qui l'aidera à prendre pouvoir sur sa vie et lui apportera la valorisation de soi nécessaire pour s'intéresser à l'autre (13).

12) Un iguane qui fut son seul ami, la seule "personne" qu'il ait véritablement aimé

13) L'inversion des interviews est à cet égard révélatrice, le Kid après avoir répondu aux questions concernant son passé sera en effet conduit à interviewer le Professeur, à apprendre à poser des questions, à s'intéresser à l'autre et au monde

 

Alors que le parcours du Kid s'éclaire peu à peu, le mystère inquiétant du Professeur s'épaissit et sa disparition n'arrangera pas les choses. Réfugié dans les marais de l'estuaire après l'ouragan dévastateur grâce à son aide financière qui lui permet de vivre sur un bateau, le héros perd à nouveau tous ses repères. Cette sorte de paradis luxuriant peuplé d'animaux où la vie s'écoule sans souci à ne rien faire le ramène dangereusement à son paradis originel, renouvelant les tentations.

Il y rencontrera heureusement un écrivain-journaliste qui achèvera sa métamorphose, lui permettant de se libérer définitivement de ses chaînes. Ce dernier saura répondre à ses questions de plus en plus nombreuses, lui montrant la complexité du monde et de la nature humaine et l'encourageant à faire des choix, à prendre des risques, à vivre tout simplement. Et c'est de sa propre volonté que le Kid quittera ce paradis illusoire pour regagner "Causeway", enfin libre malgré son bracelet électronique, capable d'envisager l'avenir de manière positive.

 

Ernest Hemingway

Ce dernier roman est aussi l'occasion pour le célèbre écrivain américain de parler de son écriture, notamment au travers du personnage de l'écrivain-journaliste qui apparaît comme son double, rendant ainsi également hommage à Hemingway, un des modèles littéraires de sa jeunesse (14), et plus largement à la littérature en opposant judicieusement, dans leur rapport à la réalité, le pouvoir des images véhiculées sur internet et le pouvoir métaphorique de la fiction romanesque. Russel Banks aime aussi se documenter en allant sur les lieux dont il va parler et en rencontrant les gens (15) avant d'attaquer un sujet car la fiction doit être "crédible". Il est convaincu que seule la littérature permet d'approcher la vérité du monde réel dans toute sa complexité car elle ne se contente pas de décrire l'"outer body" et s'intéresse à l'"inner body" éclairant de l'intérieur des personnages que dans la réalité on ne pourrait saisir que de l'extérieur sans jamais pouvoir les comprendre.

Et la scène introductive de la première partie du roman revêt alors tout son poids. Elle se situe en effet dans une bibliothèque (16), un lieu consacré aux livres où le héros - qui n'en a jamais lu aucun en entier - vient consulter internet afin de vérifier s'il y est bien fiché, enfermé. Une opposition ô combien symbolique qui introduit d'emblée la conclusion de ce roman qui résonne comme un hommage à une littérature émancipatrice capable de changer les individus en humanisant leur regard. Lost memory of skin affirme ainsi plus que jamais la nécessité du livre à l'ère numérique.

14) Le Kid prend l'écrivain pour Hemingway

15) Russel Banks s'est effectivement rendu sur les lieux à Miami, y a interrogé des délinquants sexuels sans-abris, et a même poussé le souci de documentation jusqu'à louer et visionner des films pornos sur internet !

16) La présence de Gloria (beau nom pour une bibliothécaire !), annonçant par ailleurs la suite du récit 

 

russel banks

Lost memory of skin, Russel Banks, The Clerkandwell Press, 2012 ( première publication aux E.-U. : ECCO Harper Collins Publisher, 2011 ), 416 p.

 

lointain.jpg 

Lointain souvenir de la peau , traduit de l'américain par Pierre Furlan, Actes Sud, mars 2012, 448p.

 

A propos de l'auteur :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Russell_Banks

 

 

EXTRAITS :

 

PART I

CHAPTER ONE

p.3

 

IT ISN'T LIKE THE KID IS LOCALLY FAMOUS

for doing a good or bad thing and even if people knew his real name it wouldn't change how they treat him unless they looked it up online which is not something he wants to encourage. He himself like most of the men living under the Causeway is legally prohibited from going online but nonetheless one afternoon biking back from work at the Mirador he strolls into the branch library down on Regis Road like he has every legal right to be there.

The Kid isn't sure how to get this done. He's never been inside a library before. The librerian is a fizzy lady _ginger-colored hair glowing around her head like a bug light, pink lipstick, freckless _ wearing a floral print blouse and khaki slacks. She's a few inches taller than the Kid, a small person above the waist but wide in the hips like she'd be hard to tip over. The sign on the counter in front of her says REFERENCE LIBRARIAN, GLORIA ... something_  the Kid is too nervous to register her last name. She smiles, without showing her teeth and asks if she can help him.

      Yeah, I mean, I guess so. I dunno, actually.

      What are you looking for ?

      You're like the reference lady, right ?

      Right. Do you need to look up something in particular ?

 

p.13/14

(...)

His mother's name is Adele and she was not married to the Kid's biological father who was a roofer who drove his pickup down from the North for work after one of the bigger hurricanes and was a sort of boyfriend for a few months but when she got pregnant with the Kid the roofer mooved back to Somerville, Massachusetts, where he was from originally. She told the Kid his father's name and not much because there was not much else to tell or so she said. Excepts that he was a short good-looking Irishman and had a funny accent and drank too much. After the roofer left and the Kid was born she had boyfriends pretty constantly who lived in her house with her and the Kid for up to six months on a few occasions but none of them stuck around long enough to claim the kid as his own or take responsability for educating or protecting him. Adele needs men to want her but she doesn't want men to need her. In fact, she doesn't want anyone to need her _ not even the Kid although she does not know that and would deny if asked. She believes that she loves her son and has done everything for him that a single parent could and has sacrified much of her youth for him and therefore cannot be blamed for the way he's turned out.

 

(...)

CHAPTER FIVE

p.36

 

IT'S AN HOUR BEFORE DOWN. THE TIDE HAS

turn and the sulfur stink of the mudflat beyond the Causeway and the nearby mangrove marshes laces the cool night air. In the east where the sea meets the sky a grey velvet blanket of clouds leaches darkness from the night and dims the stars overhead one by one. It's still too early for the traffic to commence its daily rumble over the Causeway. There are the steady slaps of low waves against the edge of the concrete peninsula below the Causeway and the sporadic cries of solitary seagulls cruising low over the Bay. There are the occasional coughs of sleepers in their huts and the low drawn-out   groan of a man curled in a thin blanket sheltered from the salty dew by a plastic tarp. There are the snores of the deepest sleepers like the Kid's new and decidedly temporary tent-mate whose raucous adenoidal snoring has kept the Kid awake mostof the night.

The encampment is otherwise silent and still and lies in darkness invisible to the world. (...)

 

CHAPTER EIGHT

p.57

(...)

Actually the Kid doesn't have a style. He can't be pegged as one kind of person or another except by age, race, and gender. He's a white guy in his early twenties. Otherwise he's almost invisible. Which is the way he likes it. When he was a teenager in high school or working at the light store and later in the army at Fort Drum in upstate New York it bothered him that no one could seem to see him or remember having met him before or simply forgot he was present even when he was trying to draw attention to himself. It puzzled and irritated him and made him even more insecure than when he was alone and every now and then he tried to effect a personal style _ he tried gangsta for a few months, then preppie. He tried techno-geek, goth, surfer dude, urban cowboy. Once at Fort Drum he tried sex machine and told the guys in his outfit that he ha'd auditioned for a porn flick but they needed nine and a half inches and he only had nine. The part about auditioning for a porn flick was a total lie but the part about nine inches was close enough. He had the biggest dick in the outfit but when his fellow soldiers dragged him into the showers and stripped him they just laughed at it and acted like it was wasted on him. Which it was.

(...)

Publié dans Fiction

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