"Rizières sous la lune" de Loïc Barrière

Publié le par Emmanuelle Caminade

"Rizières sous la lune" de Loïc Barrière

Loïc Barrière avait déjà abordé l'histoire récente du Cambodge dans son roman Le choeur des enfants khmers (Seuil, 2008) en revenant sur le génocide perpétré par les Khmers rouges à la fin des années 1970. Rizières sous la lune s'insère lui dans le contexte très tendu de la fin du XIXème siècle qui vit l'émergence du premier combat contre la domination française. La France en effet avait humilié le roi Norodom 1er en le contraignant à signer une convention visant, au mépris de la religion et des coutumes locales, à imposer un protectorat plus rigoureux, transformant un peu vite le régime en monarchie constitutionnelle. Une bévue qui cristallisa un réveil nationaliste, Si Votha - qui s'était déjà rebellé contre son demi-frère dont il revendiquait le trône - soulevant cette fois une insurrection populaire avec un temps l'appui du roi ...

 

Norodom 1er

 

Si l'auteur, qui est aussi journaliste, s'est précisément documenté sur la période, son livre ne se veut pas pour autant un roman historique. C'est un pur roman d'aventures plein de mystères et de rebondissements, d'intrigues de cour et de violences, d'amour et de désir, de rivalités et de trahisons comme de fidélité et de reconnaissance... Un roman s'inscrivant délibérément dans le sillage du dernier tome des Mousquetaires d'Alexandre Dumas - référence faisant assez vite le lien entre les trois héros principaux, friands d'histoires et de légendes.

 

 

Miss Bennett, riche et intrépide photographe américaine, monte une importante expédition pour s'enfoncer au coeur de la forêt à la recherche du légendaire temple aux Mille Lotus dont le livre d'un explorateur lui a révélé l'existence et même l'emplacement précis. Elle a déjà recruté pour encadrer ses hommes un inquiétant aventurier belge et a besoin d'une interprète et d'un guide pour mener à bien son projet. C'est ainsi qu'elle va contacter Tevy, orpheline d'une grande beauté d'à peine dix-sept ans, une Khmère occidentalisée élevée à Phnom Penh par des soeurs chrétiennes, qui parle un français parfait. La jeune héroïne l'aidera en outre à convaincre Chamroeun, ce moine bouddhiste défroqué, de les accompagner. Il connaît en effet à fond les temples d'Angkor (1) et cette forêt où il s'était enfui autrefois avec une jeune danseuse du palais royal dont la mort l'a laissé inconsolable. Un homme incarnant la force et le mystère pour lequel Tevy éprouve une étrange attirance malgré la différence d'âge.

L'expédition peut enfin démarrer mais l'aventure recélera bien des surprises pour les différents protagonistes, amenant notamment cette jeune-fille entre deux mondes à servir son pays et à mieux se comprendre - et bien sûr à découvrir le lourd secret de son origine...

1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Angkor_Vat

 

Angkor Vat

Temple d'Angkor Vat

On a un peu de mal dans un premier temps à entrer dans ce roman, du fait de certains choix narratifs. Les premières scènes abusent en effet de dialogues dont la fonction semble plus de délivrer des informations pour amorcer l'intrigue que de caractériser les personnages. Le "je" de l'héroïne-narratrice résonne curieusement car elle porte souvent un regard très extérieur sur elle-même (on comprendra plus tard la raison de cette sorte de dédoublement). Quant au présent de narration retenu par l'auteur, il s'accorde mal à mon sens à cette histoire utilisant tous les ressorts un peu désuets du genre, même s'il permet de mieux réaliser ces "fondus enchaînés" faisant insensiblement passer du rêve – ou de ce qu'un Occidental estime irréel – à la réalité. Enfin, le style très haché - avec ses juxtapositions de phrases courtes ou ses fréquents retour à la ligne – et le découpage du récit en une suite de séquences tiennent plutôt du scénario. Aussi cette écriture plus cinématographique que littéraire ne m'a-t-elle pas emportée d'emblée. Mais une fois l'expédition en route, on se prend au jeu, s'installant dans cet étrange roman proposant une sorte de mixte d'Indiana Jones (2) et de La route des Indes (3) mâtiné du Vicomte de Bragelonne (4).

 

2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Aventuriers_de_l%27arche_perdue

3) http://www.dvdclassik.com/critique/la-route-des-indes-lean

4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Vicomte_de_Bragelonne

 

La route des Indes ( David Lean)

 

Nourri en partie des romans d'aventures du XIXème siècle qui ont enchanté notre enfance et peut-être de ces films plus récents, Rizières sous la lune  s'apparente aussi à une rêverie née de la fascination pour les temples d'Angkor, symboles de la culture khmère. Une rêverie qui donne vie aux guerriers sculptés et aux asparas de pierre tout en s'insérant dans un contexte politique et social réel.

Ce roman rocambolesque a par ailleurs le mérite de retracer un épisode historique assez méconnu et très révélateur de l'ignorance de la complexité du Cambodge par les Français de l'époque, tout en nous faisant saisir l'âme de ce pays. Au travers des lieux visités et des paysages traversés, il illustre en effet les contrastes du territoire, entre le luxe du palais royal et les rues miséreuses de la capitale, entre la douceur des campagnes verdoyantes, de ces rizières apaisantes, et cette forêt tropicale mystérieuse et dangereuse, hantée par les tigres et les esprits. Et la variété des personnages autochtones ou occidentaux qui s'y côtoient, s'y mêlant aux «âmes errantes qui flottent entre deux mondes», éclaire les nombreuses facettes de la population cambodgienne comme les différences culturelles entre un orient marqué par la religion bouddhiste et l'occident.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rizières sous la lune, Loïc Barrière, éditions Vents d'ailleurs, septembre 2016, 256 p.

A propos de l'auteur :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Lo%C3%AFc_Barri%C3%A8re

 

EXTRAIT :

On peut lire les premières pages (p.1/16) : ici

 

Publié dans Fiction, Histoire

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