Rome en v.o., de Mary Baldo

Publié le par Emmanuelle Caminade

 

 

 

 

 

 

Je n'avais pas remarqué Rome en v.o. lors de sa sortie en juillet 2018 car ce blog n'a pas pour vocation de critiquer les guides de voyage. Mais j'ai récemment découvert avec Florence en v.o. combien ces sortes de dictionnaires amoureux illustrés de textes bilingues proposés par les éditions Atlande dans leur nouvelle collection pouvaient en rejoindre l'orientation littéraire mais aussi italienne.

Titulaire d'un doctorat d'Esthétique et de Sciences de l'Art, Mary Baldo vit depuis 2011 à Rome. Elle a retenu une quarantaine de mots-clefs en langue italienne qui, au-delà des stéréotypes et sans prétendre épuiser cette ville au riche passé tant célébrée, nous font entrer dans son histoire, sa culture et sa géographie.

Et la citation d'Henry James (1) qu'elle a placée en exergue du livre semble indiquer que son approche de cette ville aimée oscillera entre la ville réelle et la ville en littérature.

1) "Your real lover of Rome oscillates with a kind of delicious pain between the city in itself and the city in littérature."

 

 

Le grand mérite du livre réside dans la richesse et l'abondance des textes proposés. Des textes de toutes les époques, de tous genres et de toutes langues, les textes italiens l'emportant largement (2) sur les textes français ou anglo-américains (3)... Et Mary Baldo ose de plus, de manière très judicieuse, accorder une place importante aux auteurs latins.

Le poète Ovide donne ainsi quelques malicieuses leçons d'amour et de séduction (AMOR), Martial se désole de l'agitation et de la désorganisation romaines (CASINO) - à laquelle on ne semble toujours pas avoir remédié - et Juvénal se lamente sur l'incompréhensible engouement  de ses contemporains pour les jeux (LUDI), nous renvoyant à celui d'aujourd'hui pour le calcio (football), tandis qu'une lettre de Pline le Jeune se plaignant déjà des problèmes de circulation (TRAFFICO) dans la capitale nous fait sourire !

Et nous découvrons aussi des textes bien postérieurs à la chute de Rome comme ces  "Mirabilia Urbis Romae" (Merveilles de la ville de Rome), guides de langue latine destinés aux pélerins, très en vogue au XIIème siècle, ou ces "pasquinades" anonymes du XVIème siècle, courtes satires politiques dénonçant les excès pontificaux qui était placées nuitamment sur les statues de la ville...

2) Des textes d'écrivains mais aussi d'artistes comme Gabriele d'Annunzio, Benvenuto Cellini, Giacomo Leopardi, Pirandello, Elsa Morante, Marco Lodoli, Federico Fellini, Pier Paolo Pasolini...

3) Des textes de Chateaubriand, Stendhal, Julien Gracq, Emile Zola, Alfred Jarry, Berlioz... Nathaniel Hawthorne, George Eliot, Edgar Poe, Tenessee Williams, D.H. Lawrence. Auxquels s'ajoutent un texte allemand de Goethe et un russe de Gogol

 

 

Peinture de Giovanni Paolo Panini (1735)

 

Rome en v.o s'attarde sur la ROMA SPARITA (Rome disparue) "jumelle fantomatique de la ville contemporaine", la ville mythique et la ville actuelle semblant depuis toujours se superposer - ce que nous montrent plusieurs textes des siècles précédents.

Et la ville littéraire supplante finalement la ville réelle dans cet ouvrage qui s'avère plus une belle anthologie littéraire romaine qu'un dictionnaire amoureux de la ville, l'auteure privilégiant nettement les textes qui viennent illustrer ses mots-clefs et se montrant un peu rapide dans la présentation de ces derniers, au risque d'un certain déséquilibre (4).

 

On regrettera ainsi que dans BORGATE (5) elle ne parle pas de la tendance actuelle à la gentrification de ces quartiers – un thème abordé notamment par Walter Siti dans son roman Il contagio/ la contagion. Et que dans CAFFÈ, elle ne s'attache qu'au brouhaha et à la précipitation régnant dans les cafés de Rome où, quand vous arrivez à vous faire servir, vous êtes poussés dehors en moins de trois minutes !

Elle ne dit rien en effet de ce "florilège de nuances" pourtant vanté par le texte (de Marco Lodoli) qui suit, ne soulignant pas cette particularité étonnante des bars romains dans lesquels chacun peut, selon son désir singulier, commander un café différent. Un trait de culture italienne qui à mon sens n'a rien d'anecdotique et illustre la plus grande résistance des particularismes italiens (sans doute due à l'histoire de ce pays) à ce mouvement d'uniformisation qui affecte toutes les villes occidentales et n'épargne pas Rome pour autant.

 

Les nombreux textes que l'auteure voulait mettre en lumière l'ont sans doute de plus amenée, plutôt que d'en sacrifier quelques uns, à retenir trop de mots-clés. Certains paraissent parfois en effet inutiles, trop vagues, ou auraient gagné à être regroupés (6). Et, comme le format de ce guide n'était pas extensible, elle semble avoir préféré rogner sur les présentations.

 

4) Des textes qui varient le plus souvent d'une page et demie à deux pages (certaines entrées étant même illustrées par deux textes d'un même auteur) alors que les présentations excèdent rarement trois quarts de page

5) Terme difficilement traduisible car désignant au départ ces logements populaires édifiés par le régime fasciste pour mieux loger les plus pauvres tout en les chassant du centre et des lieux symboliques, puis ces faubourgs populaires grossis par l'exode rural en 1950/1960

6) ETRUSCHI semble inutile quand à Rome il n'y a rien à voir sur les Etrusques à part un petit musée et qu'il faut se déplacer à une quarantaine de kilomètres pour admirer la nécropole de Cerveteri ! BELLA, NOTTE..., trop vagues, ou PALAZZO FARNESE, SAN PIETRO..., évoquant des lieux très connus, semblent  surtout prétexte à introduire un texte auquel tient l'auteure. Quant aux notions voisines de DOLCE VITA, NOIA (ennui) et OZIO (oisiveté), elles  se recoupent un peu

 

Malgré ces quelques réserves, le point de vue retenu par Mary Baldo présente le grand avantage de nous entraîner dans de merveilleuses promenades littéraires ne nécessitant nullement de se rendre à Rome.

Et si la relative longueur des textes ne prédispose pas à emporter le guide avec soi en visitant la ville, il faudra néanmoins l'inclure dans ses bagages si l'on décide de s'y rendre. Surtout si l'on visite Rome en été et non en mai ou octobre, comme l'auteure nous le conseille pour éviter l'afflux des touristes. On sera alors bien content, si l'on est réticent au "farniente", de s'y plonger aux heures les plus chaudes, confiné dans son hôtel climatisé ou sur une terrasse ombragée.

 

 

 

 

 

Rome en v.o., Mary Baldo, éditions Atlande, juillet 2018, 192 p.

 

A propos de l'auteure :

 

Mary BALDO travaille à la Villa Médicis, siège de l’Académie de France à Rome, où elle est chargée des activités éducatives francophones. Elle a été guide-conférencière au palais Farnèse (Ambassade de France) et a développé un programme de visites littéraires sur les écrivains français à Rome pour l’association italienne “Inventer Rome”. En parallèle, elle accompagne les productions audiovisuelles de la société French Kiss Production, qu’elle co-dirige depuis 2018. (Editions Atlande)

 

EXTRAIT :

 

Mots-clefs :

 

p. 52

 

CALDO

 

Rome peut se targuer de six mois de chaleur par an, auxquels il faut ajouter quelques semaines pour glisser doucement dans l'hiver et quelques autres pour en sortir au même rythme. Si vous visitez Rome en juillet ou en août, préparez-vous à transpirer. En juin et septembre, les journées torrides restent possibles. Mai et octobre offrent une météo idéale. Mais comme il faut bien souffrir de quelque chose, quand cela ne sera pas de chaleur, ce sera de la foule.
Vous choisirez donc l'été. Ce sage choix vous offrira le privilège de voir les rues de Rome désertes. Il vous en coûtera quelques efforts d'acclimatation. Aux heures où la lumière est trop intense, où l'air manque (à moins que ne souffle le sirocco, ce qui est pire), il n'y a rien d'autre à faire que de s'enfermer dans l'obscurité, vivre nu sous les ventilateurs, bouger le moins possible, se nourrir exclusivement de pastèques et de "gelato".

(...)

 

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Publié dans Guide voyage

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