21 femmes qui font la Corse, de Jean-Pierre Castellani et Dominique Pietri

​Depuis plus de dix ans, l'universitaire Jean-Pierre Castellani s'est lancé dans un cycle d'ouvrages collectifs consacrés à la Corse, à sa mémoire et son identité. Après Une enfance corse (Bleu autour, 2010), Mémoire(s) de Corse, Les utopies insulaires : la Corse, Portraits de Corses, figures de la Corse d'aujourd'hui (Colonna, 2017) et Les Corses de la Diaspora (Scudo, 2018), 21 femmes qui font la Corse est ainsi le sixième opus qu'il coordonne, assisté pour celui-ci de la journaliste et critique littéraire Dominique Pietri. Un ouvrage dont la publication a bénéficié du soutien du Ministère chargé de l'égalité entre les hommes et les femmes et de la Direction régionale aux droits des femmes et à l'égalité de Corse.

Malgré une progression constante, la Corse reste la région française où l’activité professionnelle des femmes, levier majeur de leur émancipation, est la plus faible au regard de celle des hommes (1). Contribuant à l’évolution des modes de vie, du rôle et du statut de la femme dans la société, elle œuvre à réduire les inégalités entre les sexes, et justifie de ce fait toute notre attention.

1) Lors du dernier recensement, l'écart entre taux d'activité masculins et féminins était de de 11,4 points en Corse contre 7 sur le continent (INSEE 2012)

Jean-Pierre Castellani et Dominique Pietri ont sélectionné un vaste échantillon de femmes de tous âges ayant choisi - qu'elles soient ou non d'origine insulaire - de vivre et de travailler, de créer et d'agir en Corse, participant ainsi chacune dans leur domaine au développement de l'île. Et, après leur avoir envoyé un même questionnaire (d'une quinzaine de questions) "portant notamment sur leur rapport à leur travail et à la Corse"(2), ils ont mené plusieurs entretiens avec chacune afin qu'elles leur racontent leur parcours  professionnel, en remontant loin en amont dans cette enfance si déterminante pour la construction de soi. Ils ont ensuite rédigé ces 21 portraits de femmes qui non seulement «font la Corse» d'aujourd'hui mais, comme le dit l'éditeur Jean-Jacques Colonna d'Istria dans sa préface «l'honorent en lui donnant une image gratifiante dans le monde entier».

2)https://www.corsematin.com/articles/21-femmes-qui-font-la-corse-et-autant-ditineraires-inspirants-118008

Elles sont agricultrice aromatologue, viticultrice, oléicultrice, distillatrice de bière ou productrice de charcuterie, maire de village, restauratrice, hôtelière, médecin hospitalier, dentiste, enseignantes, cheffes d'entreprises et créatrices de marques, architecte, artiste plasticienne, danseuse chorégraphe, chanteuse, réalisatrice, poétesse ou romancière, exerçant parfois plusieurs métiers et se consacrant bénévolement le plus souvent à des associations sociales, humanitaires et culturelles ou s'engageant politiquement.

Si ces femmes, manuelles ou intellectuelles, exercent des professions variées dans des secteurs divers et souvent de manière novatrice, elles ne sont pas pour autant représentatives de l'ensemble des femmes travaillant en Corse. Elles ont en effet un niveau d'instruction supérieur à la moyenne (bac minimum pour la quasi totalité d'entre elles) et sont rarement salariées, exerçant des professions indépendantes ou de responsabilité et non subalternes. Et aucune n'appartient aux dix métiers les plus féminisés de l'île (3). Il faut dire qu'à l’image de leurs homologues masculins, les non salariées occupent une part plus importante en Corse que sur le continent (12% de l’emploi féminin contre 8 % au dernier recensement), que la création d’entreprises par des femmes est plus fréquente en Corse (31,4 % contre 28,5 % sur le continent) et que ces dernières sont plus nombreuses à y avoir le statut d'auto-entrepreneur.

3) Assistante maternelle, aide à domicile ou aide ménagère, secrétaire, employée de maison, secrétaire de direction, coiffeuse/esthéticienne, caissière/employée de libre service, employée de comptabilité, infirmière, sage-femme. (Source INSEE 2012)

"Hè megliu à esse mule orezzinche ch'è donne lutinche" (proverbe corse)

D'autres femmes font aussi la Corse, faisant vivre l'île de manière plus modeste et moins glorieuse, mais l'optique des réalisateurs de l'ouvrage n'est manifestement pas de dresser un tableau sociologique de la place des femmes dans la vie active sur leur île. Ils cherchent seulement à montrer qu'en Corse les femmes volontaires et dynamiques, courageuses et combattives, peuvent réussir dans de nombreux domaines, à l'égal des hommes (elles ont même plus de chance d'y réussir que sur le continent !). Ce faisant, ils changent l'image de la condition de la femme dans une Corse passant légendairement comme une île méditerranéenne plutôt machiste, balayant des stéréotypes dépassés mais encore présents dans certains imaginaires (4).

Et l'on découvre dans ces récits qu'il ne s'agit pas que de réussites individuelles et matérielles, ces femmes s'appuyant fortement sur leur attachement à cette terre et à sa beauté naturelle, et sur ces valeurs traditionnelles d'effort, de solidarité et de partage. Des femmes qui intègrent bien souvent dans leur activité des préoccupations écologiques de respect de l'environnement et cherchent plus largement dans leur ensemble à améliorer pour tous la qualité de vie sur cette île.

4) Stéréotypes hérités notamment des récits des voyageurs du XVIII ème décrivant une femme soumise corvéable à merci, ce dont il reste trace dans certains proverbes montrant que la condition des mules d'Orezza y était meilleure que celle des femmes de la piève de Lota (au nord-est de l'île). Au XIXème siècle de plus régnait encore en Corse une structure familiale patriarcale en voie d'extinction sur le continent, l'île ne se modernisant que tardivement au XXème siècle, à partir des années 1960​

On lit cet ouvrage avec beaucoup d'intérêt et de plaisir car il brosse des parcours très singuliers s'apparentant parfois à de véritables romans et qu'il est bien écrit, chaque portrait étant de plus doté d'un titre évocateur pertinemment étayé de citations en exergue, le plus souvent littéraires.

Ces portraits recouvrent une double dimension à la fois féministe et universelle. Ils éclairent en effet tant le rôle essentiel joué par ces femmes dans le développement économique et culturel de la Corse, au travers d'activités conciliant tradition et modernité, que la construction de soi en tant qu'être humain. Ils mettent ainsi en lumière l'importance de l'éducation familiale, des livres, des voyages et des rencontres. Mais aussi la prédisposition des Corses en tant qu'insulaires à maintenir cet équilibre nécessaire entre le respect d'un terroir et d'une certaine éthique et l'ouverture enrichissante à d'autres horizons comme à de nouvelles techniques.

C'est un livre optimiste qui, avec ces "itinéraires inspirants", offre un modèle réconfortant, les auteurs semblant convaincus du rôle moteur à venir des femmes pour la vitalité et le rayonnement de leur île. Et on se prend à rêver avec eux d'un type de croissance solidaire et respectueux de l'environnement.

@ Florent Selvini (Corse matin)

21 femmes qui font la Corse, Jean-Pierre Castellani et Dominique Pietri, Scudo, 2021, 240 p.

A propos des auteurs :

Jean-Pierre Castellani, né à Ajaccio, est professeur des universités (il a été chargé de cours à l'université de Corte de 1987 à 2009). Il est membre du Conseil d'administration de l'association Corsica Diaspora, vice-président de la Société internationame d'études Yourcenariennes et membre de l'Association internationale des critiques littéraires.

Dominique Pietri, diplômée en information-communication et sciences du langages, est éditorialiste, critique littéraire et chroniqueuse culturelle. Elle vit en Corse.

EXTRAIT :

Sommaire

7. Jean-Jacques Colonna d'Istria,

Le mot de l'éditeur

11. Jean-Pierre Castellani, Dominique Pietri,

Avant-propos

17. Agnès Accorsi,

Double Je

27. Brigitte Artilly,

Femme libre sur un territoire restreint

37. Roselyne Balesi,

La solitude du Maire

47. Emilie Borel,

Une vie, entre ciel et terre

61. Laetitia Carlotti,

La femme paysage

71. Michèle Corrotti,

La culture pour militantisme

83. Josette Dall'Ava-Santucci,

La passion du devoir

93. Mady Dalakuperan,

Un sacré parcours

101. Marie Ferranti,

Le possibilités d'une île

111. Mylène Jacquet,

La voix du silence

123. Gisèle Lovighi,

La force tranquille

131. Elisabeth Paccioni,

La femme miroir

141. Michèle Pantalacci,

Une vocation

149. Patrizia Poli,

Une combattante de la culture

159. Elisabeth Quilichini,

L'organisation

167. Manuela Reggeti,

Roméo

175. Catherine Riera,

Le dépassement de soi

191. Armelle Sialelli,

Une île en partage pour mieux s'aimer et en brasser

201. Lucie Simeoni,

Rebelle à l'injustice

213. Amelia Tavella,

Une architecte méditerranéenne

223. Marie-Jeanne Tomasi,

Une intransigeance cohérente

232. CV des personnalités

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