"Casa d'altri (Maison des autres)", de Silvio d'Arzo

Publié le par Emmanuelle Caminade

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Casa d'altri (Maison des autres) est l'ultime livre de Silvio d'Arzo, jeune écrivain disparu à l'âge de trente-deux ans. Maintes fois retravaillé, ce court récit d'à peine quatre-vingt pages dont quelques fragments parurent sous un autre titre dans L'illustrazione dès 1948 ne fut publié dans sa version intégrale dans la revue Botteghe oscure qu'à la fin 1952. De manière posthume comme la quasi totalité de l'oeuvre de l'auteur. Admiré par Bertolucci, Bassani, Pasolini ou Montale qui le définit comme "un récit parfait à mi-chemin entre longue nouvelle et prose poétique", il fait partie des classiques de la littérature italienne.

On pourrait jouer au «Doctor Ironicus» en résumant ce livre d'une ligne :

«Un'assurda vecchia, un'assurdo prete : tutta una assurda storia da un soldo.» (1)

Façon d'alléger le poids d'un récit dont l'intrigue ténue touche pourtant à l'essentiel. Car cette histoire révélatrice faite de silences nous confronte à l'invisible, à l'indicible, et nous renvoie au plus profond du mystère et de la solitude des hommes exilés dans un monde inhospitalier.

(1) Une absurde vieille, un absurde prêtre : toute une absurde histoire de quatre sous.

L'action se situe quelques années après la guerre dans un petit village perdu de l'Appenin émilien ressemblant à Ceretto Alpi, village de la mère de l'auteur. La vie s'y écoule encore comme au siècle précédent, rude et monotone, rythmée par les aboiements des chiens et les clarines des troupeaux qui chaque soir à la nuit tombante descendent de la montagne. Un village où il ne se passe jamais rien dont les habitants vivent «e basta»... puis meurent :«Ecco tutta Montelice» (2).

(2) Voici tout Montelice

Le héros narrateur, un prêtre désabusé au physique de Falstaff, y règne sur ses paroissiens depuis trente ans, vaquant à ses tâches routinières avec indifférence mais non sans ironie. Un jour, il aperçoit le long du canal une inconnue habitant à l'extérieur du village qui travaille durement pour les autres, lavant leur linge par tous les temps : vie de misère que n'envierait pas même une chèvre! Il voit soudain son intérêt attisé par cette vieille femme solitaire et sauvage qui tentera timidement de poser à l'homme d'église une étrange question bien difficile à formuler.

Et les deux héros vont s'approcher dans un long et délicat ballet tout en esquives et en hésitations, en désirs et en attentes qui ne doit rien à la séduction. Le prêtre ne saura, ne pourra répondre à cette douloureuse question dont on ne connaîtra la teneur que tardivement mais il sera changé par cette rencontre avec une âme singulière.

 

La densité, la tension extrême du récit est le fruit d'une narration habile et d'une écriture originale, la forme s'affirmant comme l'expression-même du contenu. Le ton adopté, cette distance souriante qui contraste avec la gravité du sujet enlève tout pathos à un récit elliptique, économe, qui se déroule bien au-delà des mots. L'auteur réussit à y instaurer un suspense intense avec pour unique ressort une absurde question, ménageant une chute inattendue ouverte aux interprétations.

La narration s'appuyant sur une sorte de balancement obsédant procède par circonvolutions dans une construction elle-même circulaire. Tournant autour des héros, elle enveloppe du même coup le lecteur, le berçant de leitmotive et de ritournelles. L'auteur utilise toutes les ressources du rythme, recourant à la ponctuation, aux respirations de la typographie et jouant de manière contrastée tant sur la répétition et l'accumulation que sur la concision et l'élision, la langue italienne se prêtant particulièrement bien à ce travail.

L'écriture simple et réaliste, témoignant d'une grande sensibilité à la nature, est très fortement métaphorique. La nuit domine, Silvio d'Arzo en déclinant toutes les nuances en maître du clair-obscur, la blancheur lumineuse de la lune ou la flamme d'une bougie venant en rehausser le mystère. La langue est celle d'un poète mais aussi d'un peintre dont les couleurs dessinent des paysages intérieurs, d'un cinéaste maîtrisant éclairage, mise en scène et bande sonore, les bruits venant amplifier le silence du monde, ce qu'illustrent particulièrement deux scènes somptueuses qui personnellement m'ont subjuguée : une scène nocturne capitale s'inscrivant dans une sorte de réalisme magique et cette scène initiale (3) saisissante  qui renvoie simultanément à des images de nativité et à un célèbre tableau de Rembrandt. Tous les personnages sont focalisés sur une paillasse de feuilles d'autant plus fascinante que le mort qui y repose n'y est jamais décrit, dans une atmosphère évoquant ces crèches à la veille de Noël, encore dans l'attente de leur enfant-Jésus, qui vient donner d'emblée à ce récit sa dimension métaphysique.

Un récit puissant d'une grande beauté qui atteint vraiment à mon sens la perfection.

(3) Voir le premier extrait 

(Version légèrement remaniée de la chronique écrite pour la revue littéraire en ligne Praxis Negra, le  12/02/13)

 

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Casa d'altri, Silvio d'ArzoMUP editore, 2006/2010, 82 p.

 

 

 

 

 

 

 

Maison des autres et Un moment comme ça, traduits par P. Renard et B. Simeone, éditions Verdier 1997 

 

 

A propos de l'auteur : 

 

http://www.editions-verdier.fr/v3/auteur-arzo.html

 

 

EXTRAITS :

 

I

p.7

 

All'improvviso dal sentiero dei pascoli, ma ancora molto lontano, arrivò l'abbaiare di un cane.
Tutti alzammo la testa.

E poi di due o di tre cani. E poi il rumore dei campanacci di bronzo.
Chini attorno al saccone di foglie, al lume della candela, c'eravamo io, due o tre donne di casa, e più in là qualche vecchia del borgo. Mai assistito a una lezione di anatomia? Bene. La stessa cosa per noi in certo senzo. Dentro il cerchio rossastro del moccolo, tutto quel che si poteva vedere erano le nostre sei facce, attacate una all'altra come davanti a un presepio, e quel saccone di foglie nel mezzo, e un pezzo di muro annerito dal fumo e una trave annerita anche più. Tutto il resto era buio.

(...)

II

p.10

(...)

« Cosa fanno qui a Montelice ? » dissi. «Beh. Vivono... ecco. Vivono e basta, mi pare. »

L'amico non dovette sentirsi gran che soddisfatto. Mi aveva surpreso lì, sulla mia seggiola, senza nemmeno le scarpe, con una corporatura e una faccia alla Falstaff, e anche un po' addormentato per giunta : e adesso, ecco, anche quella risposta.

Per fortuna era ancora piuttosto educato e in certo senso perfino distinto : una cosa nuova nuova, v'ho detto, appena uscita dal conio.

«Ah. Capisco «ebbe la presenza di dire, come se si fosse trattato in realtà di un'informazione confidenziale e precisa. «Vi capisco benissimo. Vivono.»

Era il nuovo curato di Braino. Appena appena arrivato s'era presa la briga di salir fin da me a consigliarsi. E a far conoscenza con me, si capisce. Mi avevo subito chiesto un bel mucchio di cose, ballo, comunisti, moralità e via dicendo, e tutto sommato non mostrava voglia di andarsene via tanto presto. Ma ogni cosa col massimo garbo, e sempre di striscio, così, senza nemmeno parere. Starlo a sentire era un po' un divertimento per me. Beh, anche una cosa triste però. Un poco triste. Voi guardate il vestito di quell'ometto laggiù, impiegato al Comune o anche vedovo, e la prima cosa che vien da pensare è che un giorno è stato nuovo anche lui. E anche l'ometto, s'intende.

« E poi muoiono » aggiunsi.
Così miei sessant'anni passati e quelle scarpe slacciate lì in terra, non c'era per niente pericolo che potessi passare per conico.

(...)

 

III

p.15

 

Fu una sera. Sul fine d'ottobre.

Me ne venivo giù dalle torbe delle monte. Né contento né triste : così. Senza nemmeno un pensiero. Era tardi, era freddo, ero ancora per strada : dovevo scendere a casa, ecco tutto.

L'ombra proprio no era ancor scesa : campanacci di pecore e capre si sentivano a tratti qua e là un po' prima della prata dei pascoli. Proprio l'ora, capite, che la tristezza di vivere sembra venir su assieme al buio non sapete a chi darne la colpa : brutt'ora. Uno scoiattolo attraversò la strada sgusciandomi quasi fra i piedi.

Solo allora, giù in fondo al canale che scorreva un venti metri di sotto, china a lavar biancheria o stracci vecchi o budella o qualcosa di simile, vidi una donna un po' più vecchia di me. Sulla sessantina, sapete.

(...)

 

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D
<br /> J'ai fait il y a quelques mois un billet sur ce livre, je l'avais lu il y a longtemps je l'ai relu pour faire mon billet et j'ai retrouvé toute mon admiration pour ce roman magnifique<br />
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