"Aujourd'hui Meursault est mort" de Salah Guemriche : nouvelle publication aux éditions Frantz Fanon
Ceux qui avaient été rebutés par l'édition numérique (ou n'avaient pu y accéder) vont enfin pouvoir lire Aujourd'hui Meursault est mort dans sa version papier.
Ce remarquable ouvrage de Salah Guemriche était sorti en juin 2013 uniquement en e-book, support malheureusement propice à l'oubli - ce qui en 2014 facilita son effacement. Un effacement ardemment souhaité, il est vrai, par les tenants de certains intérêts littéraires.
Et je suis heureuse de voir redonner visibilité à un livre dans lequel cet auteur algérien, de manière totalement originale, donnait une suite à L'Etranger et inventait à l'Arabe un fils dialoguant implicitement avec Camus - en s'appuyant uniquement sur les textes et propos divers du célèbre écrivain -, les deux héros arpentant une Alger un peu hors du temps et curieusement amputée d'une partie de ses habitants...
Cette fiction riche d'imagination, de fantaisie et d'humour dont le titre reprend l'incipit faisant malicieusement écho à celui de Camus - ce qui n'étonne guère de la part d'un auteur qui fut très tôt un grand collectionneur de premières phrases (1) - se double ainsi d'un essai érudit et solidement argumenté. Et l'on peut répertorier le livre comme un "roman-essai" ou un "essai-fiction", selon que l'on privilégie l'un ou l'autre de ses aspects. Un essai critique qui, renversant l'icône fallacieuse et nous montrant un homme profondément attachant, avec ses faiblesses et ses contradictions, restitue à Camus toute son humanité.
1) Cf son roman L'homme de la première phrase (Rivage, 2000)
Il s'agit d'une version "revue et corrigée" de la version numérique originale qui n'en change en rien la teneur, et la critique élogieuse que j'avais publiée le 01/10/13 sur ce blog (ICI) reste d'actualité. Une critique que l'auteur m'a fait l'honneur de reprendre à titre de préface, et que vient compléter une présentation plus savante (2) de Jeanyves Guérin, universitaire spécialiste de Camus.
2) A consulter en fin d'article
Aujourd'hui Meursault est mort, Salah Guemriche, éditions Frantz Fanon (Alger), 12 février 2017 (e-book Amazon kindle, 27 juin 2013, désormais indisponible)
Vente en ligne : ICI
A propos de l'auteur :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Salah_Guemriche
On peut voir plusieurs de ses livres critiqués sur ce blog : ICI
En cette année 2013 où l'on célébrait le centenaire de sa naissance, je m'étais intéressée au regard que portaient aujourd'hui les écrivains algériens sur Camus, un demi-siècle après l'indépendance. Et ceci d'autant plus que trois auteurs dont j'avais aimé les livres précédents devaient publier un ouvrage pour cette rentrée littéraire. Trois auteurs appartenant à deux générations différentes - et vivant pour deux d'entre eux depuis de nombreuses années en France - dont j'analysai les nouveaux livres dans l'ordre chronologique de leur sortie :
- Salah Guemriche, enfant de Guelma né en 1946, journaliste et écrivain installé en France depuis une quarantaine d'années, dont l'e-book Aujourd'hui Meursault est mort (rendez-vous avec Albert Camus) fut publié le premier (Amazon kindle, 27 juin 2013)
- Salim Bachi, écrivain né en 1971 à Alger et vivant à Paris depuis la fin des années 1990, dont Le dernier été d'un jeune-homme parut chez Flammarion le 25 septembre 2013
- et Kamel Daoud, journaliste et écrivain né en 1970 et vivant en Algérie, dont Meursault, contre-enquête (Barzakh) sortit le 29 octobre 2013 pour le Salon du livre d'Alger (la version légèrement modifiée (3) publiée ensuite en France par Actes Sud datant de mai 2014)
3) "Albert Meursault" notamment devient dans l’édition française simplement "Meursault", et il n'est plus l'auteur de L’Etranger mais de L'Autre ...
Incitée entre temps à la lecture du passionnant essai d'Yves Ansel, Albert Camus, totem et tabou (Politique de la postérité), j''avais également publié le 7 novembre 2013 dans le club de Mediapart un article intitulé : Hommages critiques à Albert Camus, l'auteur de L'Etranger.
(figurant sur le rabat de la couverture)
«Un auteur n’est pas forcément le meilleur lecteur de ses propres écrits, en tout cas de ses fictions. Il est arrivé à Camus de commenter maladroitement les siennes, d’en réduire la complexité et la richesse. L’œuvre d’un écrivain n’est pas un temple qui aurait ses gardiens. Elle appartient à ses lecteurs. Elle vit sa vie (…) Faire de Camus un héros ou un saint, même laïque, c’est oublier qu’il fut l’homme du doute, de l’inquiétude, de l’incertitude. Le plébiscite mondial ne vaut pas canonisation. L’esprit critique doit garder ses droits. Ni totem ni tabous.
Aujourd’hui, Meursault est mort est d’abord un bel exercice d’intertextualité comme on dit de nos jours. La première phrase propose un pacte de complicité au lecteur. L’auteur, par un jeu de citations, oppose Camus à Camus comme celui-ci opposait Nietzsche à Nietzsche. Il met à jour les tensions qui traversent son œuvre. L’Arabe, innommé, avait un fils qui interpelle « Monsieur Albert ». Salah Guemriche lui donne une identité. Il s’appelle Tal Mudarab. Ses digressions et divagations sont calculées comme celles de Clamence dans La Chute. L’un est un ironiste, l’autre a un art consommé de la formule. Meursault est ainsi, pour lui, « sans feu ni loi ».
L’auteur fait se rencontrer Camus et ses personnages, et Marie, la petite amie de Meursault, devient la compagne de Tal ! Il brouille aussi les dates. Avant-hier, hier et aujourd’hui se mêlent. Le dialogue des deux hommes est sincère mais tendu. Au final, le bavard de Guelma a fait passer une analyse critique, mais a découvert un Camus autre ou un autre Camus. Le vrai Camus, pas l’icône construite par ses hagiographes pressés ou intéressés».
Jeanyves Guérin, professeur de littérature à la Sorbonne
auteur de Albert Camus, littérature et politique (Ed. Champion, 2013), a dirigé le Dictionnaire Albert Camus (Ed. Bouquins, 2009).