L'offrande des lieux, de Jean-Pierre Boulic

Publié le par Emmanuelle Caminade

L'offrande des lieux, de Jean-Pierre Boulic

Jean-Pierre Boulic, qui a été récompensé par le grand prix de poésie Louis Montalte de la SGDL en 2010 pour l'ensemble de son œuvre, a publié une trentaine de recueils poétiques et participé à nombre d'ouvrages collectifs (1).

Et ce dernier opus peuplé d'ombres, jalonnant le parcours d'une vie en puisant dans «la combe des souvenirs», porte en mémoire ses rencontres, ses émotions et ses émerveillements, ces personnes et ces lieux auxquels il est redevable. A l'instar du poète disparu admiré André Henry (2), il recueille ainsi «ceux qu'ils a aimés, tout en égrainant la vie vouée au soleil, ces jours où respirent les sentes humaines grimpant vers les champs de nuages.»

Et il s'ancre essentiellement dans ces lieux d'enfance, dans ce pays breton où, après une carrière dans la banque, il s'est retiré à l'écart de l'agitation et du bruit de la ville, à proximité de l'océan :

Tu vins aux sentes de l'océan respirer le souffle immense des vents d'ouest. Tu vins te mettre en creux où les mots sourdent, conduisent poèmes et chansons.
(3-IMAGES, En creux, p.68)

1) Poèmes illustrés par des artistes, créations destinées à la musique, sans compter de nombreuses participations à des anthologies poétiques

2) https://revuelagrappe.fr/jean-pierre-boulic-andre-henry-1918-2005/

 

 

Introduit par une lettre à un absent inconnu en semblant le dédicataire, L'offrande des lieux regroupe en quatre sections (3) quarante-cinq courtes proses poétiques musicales riches d'assonances et d'allitérations (4). Des petits poèmes en prose d'une langue souple - certaines phrases assez longues ne comportant parfois aucune ponctuation en leur sein - ou plus scandée, plus heurtée.

Outre qu'il recourt à un certain lexique quasi liturgique, le poète y personnifie souvent la nature : les arbres sont ainsi «pensifs ou rêveurs», «les champs ruminent, leurs chaumes délavés» et «le vent s'assoit sur les branches», tandis que sa perception singulière du monde s'affirme aussi dans une certaine synesthésie transcendant les sens humains : «Il faut entendre (…) la lueur d'un murmure»/ «Je vois ces odeurs où s'en fut ton enfance»...

 

L'ouvrage est empreint de gratitude, d'affection et de respect pour les plus humbles, pour «la sagesse des mains sans diplômes», et son titre à connotation religieuse résonne plus largement comme une prière de reconnaissance et de louange pour le don reçu. Cette offrande semble en effet ambivalente, à la fois offrande "des" et "aux" lieux. Et la poésie de Jean-Pierre Boulic, unissant les lieux de la terre et ceux du ciel, y semble le lieu-même de la prière, celui où il rend grâce de l'émerveillement de vivre :

«Près des murets les ailes de myosotis sont telles des étoiles et devant tant de hauteur tomber à genoux dans l'allée.» (4-SOUFFLE, Aller au coeur, p.79)

 

L'auteur, comme Christian Bobin, est en effet un poète chrétien qui voit «la beauté de l'inaccessible que porte la chair de chaque jour», et ses poèmes semblent paroles sacrées témoignant du divin en toute modeste chose : de «l'âme du créé». Ils se distinguent des «mots manipulés d'une trompeuse littérature qui attrapent les choses en surface, laissent miroiter les alouettes» et ne savent pas «recevoir ce qui est donné» et le partager.

3) Morsure, Lueurs, Images et Souffle

4) "parages toujours empreints du parfum de ton passage / l'élagage de l'âme, ses loques de lacunes / parmi les papiers gras où s'évaporent les pas/ Tes jours jeunes se gravaient dans la grève..."

Tu as reçu un appel passant l'orée. (...) laisse entendre le bruissement des épis et donne à voir simplement la couleur des iris poussant au pied des berges de l'étang. Tu feras grâce de ce don à la souffrance des visages du monde. 
(2- LUEURS, Appel, p.52)

La poésie de Jean-Pierre Boulic, dont l'âme «cherche le silence», ce silence divin qui se révèle dans le souffle et s'incarne dans le verbe du poème, est une poésie mystique d'une grande simplicité. Une poésie qui semble relever pour lui de l'appel et du don.

La parole qui habite le poète vient en effet de très haut : il fut «averti en songe de changer de chemin», se sentant alors «appelé à écrire de petits poèmes». Et, ayant su voir «le souffle de l'ange qui passe» - ce «messager d'une bonne nouvelle» -, le poète dit «oui à ce souffle inouï». Il va vivre en poème ce qu'il a "vu" du silence :  "tisser les couleurs du silence" (pour reprendre le titre d'un de ses précédents ouvrages), la «couleur de ses mots» laissant affleurer «l'indicible».

(,,,) du silence émondé vient sur ta main comme un souffle où respire la terre qui te pousse à creuser le sillon des mots, pour semer un germe de lumière où poussera l'enfance du monde .
(4- SOUFFLE, p.75)

Et cette élection semble lui conférer une mission : celle de chanter la beauté de ces lieux terrestres, de «dire l'éblouissement de la création». Car «malgré la détresse, le désenchantement, l'indifférence», «le soleil des mots» a pour lui le pouvoir d'ouvrir un autre horizon régénérant le monde et lui faisant retrouver son innocence.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'offrande des lieux, Jean-Pierre Boulic, La part commune, 4 mars 2021, 95 p.

 

 

A propos de l'auteur :

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Pierre_Boulic

 

 

EXTRAIT :

2

LUEURS

AU PARADIS DES POETES

En pensant à Yves Landrein

p.46

**

(…)

Il y a le grand tilleul qui a résisté aux giboulées, une fleur de sureau, le figuier près ds champ de trèfles, les lavandes, l'heure des foins, même le sycomore et le chêne du talus au-dessus de la poussière des épreuves sur la page du poète. Bêtes et bestioles vont et viennent au long d'étangs, de mares et des rumeurs de l'océan. Un jeu d'enfant, dans sa mesure minuscule, sur la grève trempée de mer où s'éclaire l'innocence des coquillages. En bas de strophe s'approchent les éclats multiples du couchant. Ballot sans poids, mais sachant que sans amour rien n'est accompli, la page charpente les mots de ces multiples visages qui s'en viennent créer le nouvel enchantement d'univers.


 

 

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Publié dans Poésie

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