A la cime des heures, de Jean-Pierre Boulic
A la cime des heures, recueil de poèmes en vers libres, nous renvoie à ces livres d'heures qui rythmaient de leur liturgie les différents moments de la journée. Son titre semble ainsi unir la prière à l'ordinaire du quotidien, tout en pointant le constant souci d'élévation d'un poète chrétien ayant toujours allié dans son œuvre simplicité et mysticisme.
Préfacé par le moine Frère François Cassingena-Trévedy, ce dernier opus résonnant parfois comme une sorte de bilan revêt une tonalité mystique particulièrement prononcée.
Ce «désir d'horizon» qui «élève le songe vers ce qui t'échappe» marque d'emblée le poème L'OREE ouvrant la première partie, fondatrice, intitulée LIEUX.
Aux jours premiers du chemin de vie comme du chemin poétique de Jean-Pierre Boulic se trouvent en effet ces lieux bretons * aimés :
«Talus vallons et chèvrefeuilles
Des haies où nichent les oiseaux
La dune vers la mer
Les oyats les ajoncs
Des lieux qui sont d'enfance» (IMPRESSIONS)
Des lieux qui, dans ce paisible sentiment d'éternité propre à l'enfance, sont à la fois ceux où il s'enracina dans cette terre et pressentit un au-delà («Ces lieux de patience/ Où tes pas s'enracinent»). Des lieux placés sous le signe de l'Océan, de la «geste des marées» et des «grands vents d'hiver qui déplacent la frange du paysage», de ce souffle, de ce «grand mouvement de l'univers».
D'où cette sorte de ressac entre entre ancrage et élévation, entre ici-bas terrien et au(haut)-delà, fragile existence et indicible infini pressenti qui berce tout ce recueil.
Un va-et-vient s'étendant aux saisons :
«La terre vivifiée
Comme pleine de grâce
Où fleurissent
Immortelles et roses
D'un printemps revenu»(NOUVELLE SAISON)
Comme à tous ces jours qui meurent et renaissent, et à l'élan de la création :
«Aussi tes pensées à la lueur de l'aube
Vont et viennent survolant l'immense
Océan intérieur (...)»(A L'OREE)
* Lieux tant d'appel du Seigneur que de louange de sa création, comme le montrait déjà son recueil L'Offrande des lieux
S'appuyant sur cet élan de la création (tant de l'inspiration du poète que de la divine Création) et sur le mystère de la Résurrection qu'évoquent ses deux premiers poèmes (POTIER et ALLER AU COEUR), la deuxième partie, L'HEUR DE PATIENCE nous fait pénétrer au cœur du Silence et de la Patience de l'Attente : au coeur d'un Temps éternel :
PARADOXE
La douceur de ton encre
Pose le silence
Son visage que l'on ne voit pas
Plus haut plus loin
Que l'ombre du saule tortueux
Et ce geste seul
Vers ce qui s'accomplit
Allant le temps de la patience
Au-delà de tout
S'en vient de la racine du monde
Et le temps décrypte
Au très bas de l'univers
Un air de printemps (VOIR)
Acmé de ce recueil, la troisième partie, L'ETINCELLE D'UN RIEN s'avère une sorte de psaume louant les biens de ce monde terrestre en déclinant le miracle enchanteur du printemps.
Et, voyant scintiller le silence au-delà de son regard sur la résurrection de la nature, le poète y célèbre le miracle de cette rencontre inattendue d'une présence se révélant dans le mystère des choses. D'un souffle venant irriguer son «verbe pauvre» :
L'étincelle d'un rien
Enchante
Les lueurs du matin
Et la voix du silence
A la source des mots (VOIR)
La dernière partie, BENIR LE TEMPS, prend enfin l'allure d'une profession de foi, Jean-Pierre Boulic, bénissant ce temps humain participant du temps éternel, «De cette admirable lumière/ Qui ne s'émiette plus/ Parce que tout est accompli» (LE POEME).
Il y revient sur les racines mystiques de sa poésie:
«Le silence du temps :
Rien d'autre à la racine
Du poème qui coule» (Idem)
Comme sur sa dimension proprement chrétienne.
Jouissant de son don d'entendre ce silence, de voir «Ce qui tient au secret/ Des miettes pour les pauvres/ Dans la lande d'amour» (SIMPLICITE DE COEUR), ce poète chrétien n'a en effet pour modeste ambition que de partager ces instants et d'ainsi «donner des couleurs» à «l'âpre sente des hommes».
Un poète qui, de «Ces mots simples où se rejoignent/ Les sourires et meurtrissures/ De nos fragiles existences », rend grâce au Seigneur créateur en clamant les bienfaits de l'univers :
« (...)
Chaque heure accomplit le temps .
Soleil pluie
Aussi sûrs que la patiente aurore
Allant les vergers le cœur des pommiers
Une parole nouvelle
A l'instant
Se réjouit et clame les bienfaits
De l'univers et de ses créatures
Sans ignorer la souffrance
Surprenante
Dévalant de ses milles souillures
Sur l'étroite margelle où se tient
L'homme.» (L'INSTANT)
A la cime des heures, Jean-Pierre Boulic, L'enfance des arbres, février 2022, 94 p.